Je n’ai pas réussi à écrire de newsletter depuis 1 an. Je savais que cette saison serait intense et je pensais m’y être préparée mais, plus que la charge de travail, j’ai sous-estimé la charge mentale liée au fait d’être désormais la cheffe de ma propre entreprise. Depuis 3 ans j’ai travaillé avec une quinzaine de « clients » plus ou moins régulièrement et mon chiffre d’affaires annuel est à peu près égal à celui que je touchais en CDI.
Petit rappel des faits : j’ai quitté le salariat fin janvier 2021 après 1 an en CDD à La Villette comme chargée de programmation du hip-hop et coordinatrice d’Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines (IADU). Mais surtout après 13 ans (de mes 20 à mes 33 ans) d’investissement au développement de Pôle Pik, centre chorégraphique hip-hop, du Festival Karavel puis de Pôle en Scènes, en région lyonnaise.
C’est ces années d’intenses souffrances au travail qui ont failli avoir raison de ma passion pour la danse, la culture hip-hop et l’organisation d’évènements.
Alors j’ai d’abord décidé de faire une pause. Quelques sollicitations de compagnies, bureaux de production, tables rondes m’ont incitée à chercher un mode de portage d’activités adéquat, qui me laisserait le temps de réfléchir à une nouvelle étape professionnelle.
Festival Karavel #1, 2007. Crédit : Claire Gillet
1- …m’engager avec une coopérative était une bonne idée
« Ce n'est pas la meilleure structuration pour toi si tu veux bosser dans la culture sachant que tu peux faire appel au statut de l'intermittence qui est fait pour des professions comme la tienne. »
Ça c’est un conseil venant d’un professionnel me proposant une collaboration avec sa structure quand je lui ai dit que je souhaitais m’engager avec une coopérative d’activité et d’emploi (CAE).
Déjà le mansplaining ça ne marche pas vraiment avec moi. Et puis, sortant d’années de relatif confort du salariat, j’avais un chômage tout aussi confortable que j’aurais dû abandonner pour être intermittente. Or, quand on débute une activité, le chômage est une vraie sécurité. Et puis j’avais besoin d’être accompagnée dans mes réflexions. S’il y a bien quelque chose que j’ai appris c’est que j’ai besoin d’échanger, de partager, de me sentir stimulée par l’énergie du collectif. N’étant pas non plus une administratrice professionnelle ça me rassure qu’une structure m’empêche de faire des grosses bêtises qui auraient eu un impact sur mes finances (NB : j’en fais quand même).
Aussi la crise actuelle que connaît le secteur culturel se porte notamment sur la question du management et des conditions de travail. D’ailleurs Micha Ferrier-Barbut vient de sortir un ouvrage, en collaboration avec Rebecca Shankland, qui propose différentes pistes de réflexions. Dont le modèle coopératif : « une façon passionnante d’aborder le travail ».
Ce que je n’avais pas anticipé c’est que, malgré les nombreuses rencontres humaines au sein de ma coopérative et lors de mes missions, je travaille beaucoup seule, souvent depuis mon appartement. J’ai minimisé le phénomène d’isolement au quotidien et l’importance de se créer un entourage. Avec le recul j’aurais investi plus tôt un bureau en coworking. J’ai besoin d’être stimulée par des conversations, de partager mes (nombreuses) angoisses avec des pair‧e‧s. Et de garder mon appartement comme un espace safe de repos et de détente. En juin j’emménage donc dans un bureau au Théâtre de l’Elysée dans le quartier de la Guillotière (à Lyon), avec 2 collègues, où j’espère être deux à trois fois par semaine.
2- …mon quotidien est très instable
Mon métier et la manière dont je l’exerce peut sembler idéal. Une grande partie de mon temps est consacrée à aller voir des spectacles, assister à ou coordonner des évènements, rencontrer des équipes artistes, d’autres programmateurices. Et à en faire le compte-rendu aux directions des différentes structures que j’accompagne (L’Azimut, la MC2 de Grenoble, la Maison de la Danse…).
Soirée House on Fire #3, Maison de la Danse de Lyon, 2024. Crédit : Romain Tissot
Cette période est très concentrée entre octobre et mars, le temps de la construction d’une programmation. Inutile de préciser que je travaille de fait beaucoup en soirée. J’ai évidemment du travail de bureau : la veille, l’organisation des déplacements, le contact avec les chargé‧es de diffusion pour connaître les disponibilités, les conditions techniques et financières etc. A cela s’ajoute mon travail d’entrepreneure : les devis, les factures, les notes de frais, la participation à la vie de la coopérative dont je deviendrai sociétaire en juin…
Je connais depuis 3 ans de grandes difficultés d’organisation. Mon travail est davantage évalué sur le résultat que sur la méthode. Je dois donc m’imposer une discipline que personne n’ira superviser ou vérifier. J’ai l’impression que plus on se montre débordé plus on donne l’impression d’être compétent. Dans le secteur culturel on commence toutes nos interactions par : « C’est la course ». Et comme on ne sait pas quand je suis à mon bureau et que j’ai décidé de communiquer sur mon activité sur les réseaux sociaux je donne l’impression d’être disponible et accessible tout le temps. Difficile de suivre le rythme des appels, textos, messages privés sur les réseaux, mails etc. Résultat : un sentiment quasi permanent de culpabilité. Ajoutez à cela une forte tendance à l’anxiété :
je rencontre des moments de découragement où j’ai envie de tout arrêter
3- …il peut être important de se faire aider
Pour ne pas changer de métier à chaque fin de saison, j’ai envie de chercher une manière de réduire ma charge mentale professionnelle tout en parvenant à un modèle économique viable. J’ai pour cela mobilisé mon CPF pour me faire accompagner par une personne que je suis depuis longtemps sur les réseaux sociaux : Carine de Sororialist. Elle propose un parcours de bilan de compétences modernisé, 100% personnalisé, spécialisé pour les femmes. En effet les femmes rencontrent au travail des problématiques spécifiques et l'enjeu de leurs orientations ne se situe pas uniquement dans la définition d'un projet professionnel clair mais aussi dans la prise en compte de ces spécificités. Ensemble on va prendre le temps de redéfinir mes aspirations, mes besoins et mes priorités pour optimiser et articuler mon activité autour de ce qui est important et significatif pour moi sans m’épuiser, en respectant pleinement mon mode de fonctionnement et ma personnalité. J’espère retrouver de la sérénité, de la confiance et de l’épanouissement dans ma vie professionnelle.
4- …le réseau construit en salariat est primordial pour signer des contrats en freelance
Il n’y a pas de parcours type pour devenir programmateurice. Me concernant j’avais une grande soif de spectacles, j’étais curieuse de tout, comme pour rattraper ce que je n’avais pas vu en 20 ans. Alors en stage à la compagnie Käfig en 2007 pour concevoir le premier festival Karavel, j’allais partout où je pouvais : j’étais fascinée par les artistes (c’est toujours le cas). C’est de cette manière que j’ai développé un regard critique et que j’ai appris à le partager. Les danses hip-hop étant au centre de mon travail et de mes recherches, j’ai pu développer une expertise singulière à proposer. Mon année à La Villette, à Paris, m’a permis d’élargir mon réseau et me faire connaître. La plupart de mes missions sont arrivées à moi par le biais de cet entourage. Un texto, un appel : « je cherche une personne pour me conseiller » ; « on m’a parlé de toi » ; « j’ai vu ce que tu faisais et j’aurais besoin d’une personne comme toi » etc. Ou bien on me parle d’une personne qui cherche une expertise, j’envoie un mail, on boit un café (faux : je ne bois pas de café), on discute… Et souvent on crée ensemble une mission sur mesure. Je continue à prendre soin de ce réseau et à l’entretenir.
Je fais aussi en sorte qu’on voit ce que je fais, même de loin.
5- …le personal branding est utile
J’aime bien appliquer des règles qu’on utilise peu dans le secteur culturel public français, qui est souvent mal à l’aise avec le fait de parler business et d’argent. Mais quand on est entrepreneur solo et qu’on vend un service, il me semble qu’on n’a pas le choix. Le story telling (l’art de raconter une histoire pour communiquer) a une place importante dans la création d’une entreprise. Même si ce sont majoritairement les compétences qui amèneront au renouvellement du contrat. C’est un peu comme quand vous passez un entretien : cette capacité à parler de soi et à créer une narration autour de son parcours feront la différence. J’ai ainsi décidé d’être claire sur mes connaissances acquises ces 15 dernières années, mes valeurs, mon positionnement, mon regard esthétique, mes zones d’influence et ce que cela peut apporter aux personnes et structures qui travailleront avec moi. Un des avantages dont je ne me lasse pas est que, n’étant pas salariée, j’ai désormais une forme de liberté à exprimer mes opinions en mon nom propre sans que cela n’engage mes clients. J’ai donc appris à communiquer via mes réseaux sociaux, lors de rencontres professionnelles, par l’envoi d’une newsletter etc.
Forum entreprendre dans la culture, Les SUBS Lyon, 2023. Crédit : Laurie Diaz
6- j’aime transmettre mon métier
J’ai toujours eu plaisir à accueillir des stagiaires quand j’étais salariée, à partager ma passion et à ouvrir le champ des possibles à des jeunes qui n’auraient peut-être pas imaginé la voie artistique comme un métier. J’ai conscience que cela fait écho à mon propre parcours de transfuge de classe. C’est pour les mêmes raisons que je suis engagée bénévolement depuis 2020 avec l’association Rêv’elles, qui accompagne les jeunes femmes des quartiers populaires dans leur épanouissement personnel et professionnel. Depuis 2 ans j’interviens auprès des étudiant‧e‧s de 3ème année d’ICART Lyon et j’adore échanger avec cette génération qui porte un espoir de renouveau. Ensemble on questionne, à travers l’écosystème du spectacle vivant, ce que signifie l’émergence pour ce secteur et on tente de se forger un esprit critique sur les logiques de domination et de « normalisation » culturelle. A la rentrée je multiplie mes heures par 5 pour accompagner les élèves de 5ème année dans la méthodologie de projet et l’organisation d’un évènement artistique. Je commence également à projeter de m’associer la saison prochaine à un‧e stagiaire (dans un premier temps) afin de développer mon activité en démarchant de nouveaux clients dans le secteur évènementiel (par exemple) et en renforçant ma stratégie de communication
7- …j’ai encore beaucoup de projets en tête
Je sors de ma première séance de bilan de compétences et je sens que sommeillent en moi encore une multitude d’idées à réaliser et beaucoup de personnes avec qui j’adorerais collaborer.
Je vous en dirai davantage bientôt 😉
Des liens pour aller plus loin
Podcast j’peux pas j’ai business : le pouvoir de la marque personnelle
Pour qui souhaite vivre de sa passion et découvrir la liberté financière, ce podcast creuse des sujets comme le marketing, l'entrepreneuriat, la prospection, l'état d'esprit, l'organisation et bien plus encore.
Énergie, stratégies, astuces et conseils d'une coach business certifiée sont au rendez-vous.
Mes recommandations de spectacles
Chaque premier mercredi du mois je partage sur mon compte instagram mes envies de spectacles à Lyon, Paris et ailleurs.
Festival de cirque féministe : Les incandescentes
Rares sont aujourd’hui les lieux ou festivals à programmer des spectacles créés par des circassiennes dont l’écriture témoigne d’un engagement féministe. Fortes de ce constat, deux directrices de compagnies, Camille Chatelain (Compagnie L’Indécente) et Laura Terrancle (La Femme Canon Compagnie), rejointes par l’administratrice de production Camille Fukas, ont pris l’initiative d’offrir une visibilité à de tels projets. Ainsi est né le festival Les Incandescentes, qui revendique une ligne artistique résolument politique.
Merci d’être aussi inspirante