Les trucs qui m'ont aidée à quitter un job toxique
J’ai mis dix ans à comprendre que ce travail finirait par me détruire. Une énième convocation. Une accusation absurde. Et une promesse faite à moi-même : je ne m’excuserai plus d’être qui je suis.
TW : violences psychologiques
Des années sous tension, dans un état de vigilance extrême, la peur au ventre d’être la prochaine cible. L’énergie consacrée à être irréprochable, à absorber des charges de travail délirantes, à faire exister un poste dont un autre pouvait s’attribuer le mérite. Hors du bureau, plus de temps libre, plus de loisirs, plus d’envie à part éteindre les lumières et dormir. Comme beaucoup, j’ai fini par croire que si ça n’allait pas, c’était de ma faute : pas assez docile, pas assez invisible, trop affirmée. On m’a demandé d’être plus comme unetelle (pendant qu’à une autre on disait d’être plus comme moi). On m’a réclamé de l’obéissance. Et quand je brillais trop, on m’a convoquée pour me rappeler à l’ordre.
J’adorais pourtant ce travail. Commencé en stage alors que je n’avais que 19 ans, je me représentais un métier de rêve, inaccessible pour une jeune fille de la campagne, sans réseau, sans « culture ». Au fil des années ma passion est devenue une prison. Entre l’isolement, la culpabilisation et de maigres miettes de reconnaissance censées maintenir l’illusion, le piège était bien ficelé.
La maltraitance au travail a un coût psychologique et financier.
Un an avant de partir, j’ai entamé une psychanalyse et un suivi en kinésiologie. Le psychiatre, que je vois encore, m’a dit un jour alors que je paniquais à l’idée d’échouer dans mes missions :
Et si pour une fois vous n’y arriviez pas ? Est-ce que ce ne serait pas une bonne chose ?
Cet accompagnement m’a aidée à faire la part des choses : ce que je vivais n’était pas normal. Mais seule, difficile d’y voir clair. J’avais fini par éteindre la lumière toute seule.
J’ai rejoint un cercle de parole créé par des amies danseuses. On avait l’habitude de se retrouver au studio pendant nos pauses. On a commencé à partager nos expériences, à noter ces petits mécanismes d’invisibilisation, à se donner des stratégies, à se renforcer mutuellement. Ensemble, on a déconstruit ce que le patriarcat nous fait endurer dans le travail et ailleurs. On s’est soutenues, on a politisé nos expériences, on a compris que l’oppression n’est pas un problème individuel mais un système. Entourée de femmes fortes j’ai appris à dire stop.
Un matin de printemps, le sujet de l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi sur France Inter est : « L’avenir appartient-il à ceux qui se lèvent (très) tôt ? ». Je ne retiens qu’une chose : la nécessité de me réapproprier mon temps et de me soustraire à une dynamique imposée. Je commence à me lever à 6h pour courir et faire du yoga. Deux heures uniquement pour moi, avant de plonger dans l’hostilité du travail (il avait l'habitude d'appeler à 9h05, et si le répondeur n'était pas désactivé, on recevait un appel énervé sur nos portables.). Une brèche s’ouvre.
Un mois avant mon arrêt maladie, ma sœur m’offre le livre Le Pouvoir de Naomi Alderman pour mon anniversaire. Un roman où les femmes découvrent une force électrique qui inverse les rapports de domination. Fiction ? Métaphore ? Une révélation qui me fait prendre conscience de toutes les forces invisibles auxquelles nous sommes soumis.es malgré nous et des peurs qui nous empêchent d’avancer.
Un matin, mon boss fait le tour du bureau et salue toutes mes collègues d’une bise. Arrivé à moi : « Non, pas toi. » C’était le jour de trop. J’ai emballé mes affaires et, sur les conseils de la médecin du travail, je ne suis plus jamais revenue.
© Gilles Aguilar
Trois mois d’arrêt maladie. Trois mois pour respirer. A cette même période j’ai adhéré à un syndicat dont le premier conseil a été de retourner travailler en mi-temps thérapeutique car, selon lui, mon employeur à la renommée internationale m’empêcherait de trouver un emploi dans le secteur. J’ai résilié mon adhésion et décidé de ne plus laisser la peur guider mes actions.
Au fil des semaines j’ai retrouvé une clarté d’esprit, j’ai repris contact avec des personnes inspirantes de mon secteur et, surtout, j’ai commencé à me projeter ailleurs. J’ai rencontré des personnes qui, elles aussi, avaient fui des environnements toxiques. J’ai commencé à voir des opportunités qu’on ne soupçonne pas tant qu’on est enfermé.es dans un tel milieu. J’ai pris le temps de reconnecter à mes valeurs et de me créer un cadre le plus sain possible pour (re)construire ma confiance en moi et dans le travail.
J’ai démissionné et pris un CDD à Paris, encore en convalescence. Quand mon ancien boss a tenté de me faire virer sous un prétexte ridicule et mensonger, mon nouveau directeur n’a pas cédé. Pour la première fois, je n’avais pas à me justifier.
Aujourd’hui, je suis freelance et j’ai choisi de travailler en coopérative, un cadre où la solidarité et la gouvernance partagée sont au cœur du fonctionnement. Ce modèle me permet non seulement d’exercer mon métier le plus en accord possible avec mes valeurs, mais aussi d’expérimenter de nouvelles modalités de travail : plus horizontaux, plus humains, plus respectueux des rythmes et des besoins de chacun.e.
Quitter ce job toxique n’a pas été une faiblesse, mais une affirmation de mes valeurs et de ce que je veux bâtir et défendre dans mon métier.
Je sais désormais qu’un autre cadre de travail est possible, et que nous méritons toutes et tous un espace où notre passion a du sens, sans s’y perdre. L’épuisement organisé est une stratégie de domination.
© Gilles Aguilar
Si tu te reconnais dans ces lignes, sache que tu n’es pas seul.e. Raconte-moi quel petit pas tu as déjà fait ou tu vas faire pour reprendre du pouvoir.
A bientôt !
Rose-Amélie
Whaou ! Sacré claque.. je n’aurais pas imaginé que tu vivais ça quand on s’est rencontré 😰
Tu as su rebondir de manière extraordinaire ! En tout cas c’est un témoignage qui j’espère va engager d’autres dans cette même direction 🤞💪